Les bâtiments ayant porté le nom de Jeanne d'Arc

(Sources: La "Jeanne d'Arc" de Michel Bertrand editions Ouest France 1985 )

Depuis 1912, il est de tradition dans la Marine que tous les navires-ecoles des officiers élèves portent le nom de "Jeanne d'Arc", non seulement parce que la jeune vierge lorraine libéra la France de la domination anglaise, mais parce qu'elle symbolise le plus pur patriotisme et l'âme du pays. Auparavant les jeunes officiers "faisaient" leur Ecole navale sur un vieux vaisseau à voile, ancré en rade de Brest le "Borda" avant d'être affectés pour leur premier embarquement sur le croiseur-école "Duguay-Trouin" à l'issue de leur examen final. Trois bâtiments se sont ainsi succédé depuis le début de ce siècle, formant des dizaines de générations d'officiers des différents corps (officiers de Marine, ingénieurs, médecins, commissaires, etc...).

La première "Jeanne" eut une carrière relativement brève, écourtée par les débuts de la Première guerre mondiale qui la firent affecter au sein de l'escadre de l'Atlantique puis de la Méditerranée, son rôle d'École d'application étant suspendu pour la durée du conflit. Sa silhouette était caractéristique des croiseurs de la fin du 19ème siècle, antérieurs aux leçons tirées de la guerre russo-japonaise et de la fameuse bataille de Tsou-Shima (1905): six cheminées, une artillerie répartie en tourelles et casemates, deux mâts à huniers (l'un sur l'avant, l'autre à l'arrière). Ses trois machines à vapeur de 28500 CV alimentées au charbon et à... 48 chaudières lui permettaient de filer 23 noeuds, vitesse plus qu'honorable compte tenu des performances d'alors. Très long (145m) et assez effilé (19,4m de largeur), le bâtiment déplaçait plus de 11 000 tonnes pour un tirant d'eau de 8,10m.

Plus près de nous, la deuxième "Jeanne d'Arc" fut construite en un temps record puisque la première tôle fut posée en septembre 1928 à Saint-Nazaire et qu'en octobre 1931, le croiseur-école appareillait pour sa première croisière autour du monde, non sans avoir été baptisé en grande pompe, le 14 février 1930, jour de son lancement, par la "marraine" du bateau, épouse du ministre de la Marine Georges Leygues.
Pour son premier voyage, la nouvelle "Jeanne" vient de recevoir une promotion de 156 élèves en plus de son équipage fort de 506 hommes répartis en 28 officiers, 120 officiers-mariniers et 424 quartiers-maîtres et matelots. Son premier commandant, le capitaine de vaisseau (futur amiral) Marquis veut "marquer le coup" et montrer le pavillon français dans tous les pays où la France peut faire rayonner son influence en tant qu'"ambassade flottante". Ainsi le périple octobre 1931-juillet 1932 vise en premier lieu l'Amérique latine (Brésil, Uruguay, Argentine, Chili, Pérou, Panama, Colombie). Avant de revenir à Toulon, le croiseur-école visitera les grands ports de la Méditerranée, non sans avoir fait escale aux Antilles, à Dakar et à Casablanca... Un très beau programme précédant le retour à Brest, fixé au 4 juillet. Cela représente, songeons-y 25000 milles à parcourir en 267 jours de campagne, dont 146 consacrés à la visite d'une quarantaine d'escales ! Un merveilleux voyage pour les "Midships" qui ne doivent pas pour autant négliger les études, s'initier à la navigation, aux armes, au commandement et à toutes les activités qu'ils sont appelés à exercer au cours de leur carrière d'officier.
Sur le plan technique et des aménagements intérieurs, ce croiseur est une magnifique réussite de l'ingénieur du Génie maritime Antoine qui en a conçu les plans. Quant à la sainte protectrice du navire, sa béatification en 1909 puis sa canonisation en 1920 font rayonner la gloire sur le vaisseau qui s'auréole de son nom dans une "union sacrée" réunissant dans la ferveur aussi bien les politiciens "laïques" que les chrétiens traditionnels. Les caractéristiques de la deuxième "Jeanne" expriment mieux qu'un long discours sa valeur comme bâtiment de guerre et comme école flottante.
Avec ses chaudières à mazout relayées par des turbines, développant une puissance de 32500 CV, sa vitesse de 25 noeuds (le bâtiment soutint des pointes de 27,8 noeuds aux essais pendant 3 heures), ce croiseur alors ultramoderne n'a pas été uniquement conçu comme un "navire-école" aux aménagements très étudiés, mais comme un bâtiment de guerre dans le plein sens du mot. La nouvelle "Jeanne" a fière allure avec une longueur hors tout de 170 m pour 17, 70m de large au fort et un tirant d'eau de 6,50 m.

Comme le fait observer son "biographe", le médecin en chef Aury "avec sa guibre élancée, ses cheminées de section ovale légèrement inclinées sur l'arrière et bien équilibrées, ses superstructures étagées en escalier et sa poupe très arrondie, la "Jeanne d'Arc" apparaît déjà comme étant aussi réussie que les autres croiseurs légers auxquels elle s'apparente par son déplacement (6500t.) aussi bien que par son armement" : 8 canons de 155 mm en 4 tourelles doubles (2 av, 2 arr.), son artillerie principale étant complétée par :

Par contre, le blindage est pratiquement inexistant alors que la chauffe au mazout (au lieu de l'encombrant charbon) lui donne une autonomie de 5000 milles à 14,5 noeuds. Si l'on pénètre à bord, on est frappé par la répartition judicieuse des locaux réservés à l'École, bien distincts des aménagements militaires. Les élèves sont logés dans douze postes groupés dans les deux étages du grand rouf central. Une coursive-milieu, baptisée "rue de Siam" en souvenir de Brest, sépare les deux lignes de postes du pont supérieur, débouchant à l'arrière sur la vaste salle de conférences où trouve place la promotion tout entière pour écouter les "topos" du directeur des études et des officiers-instructeurs. Ces locaux s'ouvrent sur les passavants abrités, ressemblant par plus d'un trait aux ponts-promenade des paquebots. L'appartement du commandant, vaste, est installé à l'arrière du rouf tandis qu'officiers et gradés logent sous le pont principal-milieu et l'équipage à l'avant. Rien n'a été oublié de ce qui est nécessaire à la vie du bord: postes d'équipage (les officiers-élèves, comme il est de tradition, dorment dans des hamacs), infirmerie-hôpital, coopérative, ateliers du maître-tailleur et du cordonnier, buanderie, boucherie, local frigorifique de 80m2, cambuse, cale à vin, soute à munitions, sont répartis dans les tranches de l'avant. Au-dessus de la chaufferie et de la machine avant, on trouve les postes des maîtres et seconds-maîtres, le bureau administratif et le bureau militaire, l'imprimerie, le laboratoire photographique, les divers ateliers et magasins. Enfin, la boulangerie et les cuisines se répartissent sur deux niveaux à l'avant du rouf. Plus en arrière est située la tranche de locaux réservés aux officiers supérieurs, le secrétariat du commandant, le local disciplinaire des élèves, les chambres des officiers subalternes, l'avant-carré et le carré, ce dernier occupant toute la largeur du navire. Au-dessous, c'est le domaine de la machine arrière et de sa chaufferie, des soutes à munitions arrière et le local de l'appareil à gouverner. La passerelle de navigation (commandement) dispose d'une excellente visibilité et de nombreux répétiteurs d'instruments destinés à servir aux élèves pour leur entraînement.

La "Jeanne d'Arc" donnera toute satisfaction au cours des croisières autour du monde qu'elle accomplira sans défaillance de 1931 à 1964, Si l'on excepte l'interruption de 1939-1945 qui fut une chance pour le croiseur immobilisé à la Martinique jusqu'en 1943 avec un précieux chargement d'or. Trente-trois ans de bons et loyaux services, c'est exceptionnel pour un navire de guerre aussi bien construit fût-il.

À partir de la croisière d'instruction 1952-1953, le Département avait envisagé de faire participer davantage d'élèves-officiers des Corps de la Marine, si bien que les capacités du croiseur école s'avèraient insuffisantes. L'adjonction d'une unité spécifique offrant des capacités d'embarquement suffisantes était la réponse à ce problème. C'est ainsi que l'Escorteur de 2ème Classe "La Grandière" , bâtiment qui avait porté le pavillon français au début (1950) de la toute première opération de l'O.N.U. en Corée (fin des combats 25/7/1953), fut désigné pour accompagner la "Jeanne". Par la suite, le "Jeanne d'Arc fut accompagné chaque année par sa nouvelle "conserve" le "La Grandière et, à partir de 1956, les deux bâtiments constituèrent un groupe organique commandé par le Capitaine de Vaisseau commandant le "Jeanne d'Arc" (1314 EMG3 - 27/7/1956). En fait, cet escorteur fut chargé de donner aux élèves, outre une formation maritime générale, une instruction élémentaire dans deux disciplines particulières:

Sa dernière croisière, la "Jeanne" l'accomplit de conserve avec l'aviso-escorteur Victor-Schoelcher comme l'année précédente. Pendant ce temps, le porte-hélicoptères qui devait reprendre le nom de la Pucelle d'Orléans, avait été baptisé provisoirement La Résolue et poursuivait ses essais. Parcourant 30410 milles depuis son départ de Brest le 5 novembre 1963 jusqu'à son retour dans le grand port militaire du Ponant le 8 juin de l'année suivante, la "Jeanne d'Arc", pour son ultime "tour du monde", sous le commandement du C.V. Postec, aborda les côtes d'Afrique (Dakar, Abidjan) avant de rendre hommage à Sainte-Hélène au souvenir de Napoléon et de venir mouiller au Cap (Afrique du Sud). De là, le bâtiment fit route vers l'Amérique latine avec escale à Buenos Aires, Montevidéo (Uruguay), Punta Arenas, Valparaiso (Chili), Callao (Pérou), Bal boa (zone du canal de Panama), Carthagène (Colombie), Fort-de-France, les (Antilles), Kingston (Jamaique), La Nouvelle-Orléans, New-York (E.U.), enfin Québec (Canada) et Saint-Pierre-et Miquelon.

Ce dernier voyage fut une apothéose mêlée de nostalgie en raison de la condamnation imminente de l'ancienne "Jeanne" dont tant de générations d'officiers gardent un souvenir ému. Parmi ses commandants appelés à des fonctions éminentes, citons le capitaine de vaisseau Marquis (1931-1933) promu vice-amiral et préfet maritime de Toulon, le CV. Auphan (futur contre-amiral et secrétaire d'État à la Marine de 1940 à 1942),après la guerre, le CV. Cabanier (1947-48) amiral à cinq étoiles et chef d'état-major de la Marine (1960-67), déjà célèbre en 1941 pour avoir commandé le fameux sous-marin Rubis, le CV. Amman, préfet maritime et défenseur de Bizerte en 1961), le C.V. Burin des Roziers, ancien officier des Forces navales françaises libres, plus tard vice-amiral d'escadre ayant commandé l'escadre de l'Atlantique (commandant de la "Jeanne" de 1955 à 1957), enfin le CV. Storelli (1961-1963), futur chef d'état-maior général de la Marine.


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