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L'enjeu scientifique

Madâ'in Sâlih est le site majeur d'Arabie du Nord-Ouest et le seul qui ait pu être exploré de manière extensive. Aucun autre site de la région qui s'étend de là à la frontière jordanienne d'une part et à la mer Rouge d'autre part, n'a été autant visité et exploré. Cependant, malgré les sondages réalisés par nos collègues archéologues saoudiens dans le centre urbain, on peut dire qu'il n'a jamais été réellement fouillé. En conséquence, tout ce qui sera découvert sur ce site apportera des informations nouvelles sur l'occupation de cette partie encore très peu explorée du Proche-Orient.
 

Pour l'histoire du site lui-même, on se pose beaucoup de questions sur la date de la fondation de Hégra, son statut et sa fonction, ses relations avec la capitale, la chronologie de son occupation, l'éventuelle survivance, après 106, d'un embryon de royaume autour du site. Il en est de même pour ce qui est de la postérité du site après l'époque nabatéenne. En effet, il ne fait plus aucun doute, malgré des débats encore récents, que le site, ses environs immédiats et toute la partie nord du Hijâz ont été intégrés à la province romaine d'Arabie en 106 ou juste après. Dans la période qui suit, au II ème siècle ap. J.-C., Rome aurait assuré directement la surveillance du désert jusqu'aux oasis de Dumata et de Hégra. Des garnisons stationnaient dans ces postes avancés ainsi que dans des points du désert distants les uns des autres. Les centres où se seraient rassemblés les nomades, comme Wadi Ramm ou Rawâfah, jouaient peut-être un rôle dans ce dispositif. Le schéma qui domine est celui d'un contrôle du territoire par l'intermédiaire de chefs de tribus associés à la défense de l'Empire. C'est dans ce contexte qu'est interprétée l'inscription bilingue de Rawâfa, qui offre un témoignage du culte impérial par une unité auxiliaire de l'armée romaine recrutée chez les Thamoudéens. D'après M. Sartre, qui a récemment formalisé ce schéma, ces alliances ont été efficaces aussi longtemps que les tribus alliées n'ont pas été soumises aux pressions de groupes plus puissants.

À la fin du III ème siècle, sous Dioclétien, certaines provinces orientales ont connu des remaniements. Le sud de la province romaine d'Arabie- au sud du Wadi al-Hasa- a été rattaché à la province de Palestine vers 295-297. En 358, cette province de Palestine est à son tour divisée en trois provinces : la partie sud, qui faisait anciennement partie de l'Arabie, devient la province de Palaestina Salutaris , avec Pétra pour capitale. Elle devient plus tard, mais avant 409, la Palestine Troisième. Enfin, après 451, la limite de la Palestine III ème est repoussée plus au nord. Parallèlement au premier redécoupage des provinces, vers la fin du III ème siècle, on assiste à un repli des postes les plus avancés et à un renforcement de la ligne défensive installée à la limite des pays dits sédentaires. Les postes de Hégra et Dûmat semblent abandonnés par les unités romaines et la garde des régions désertiques semble alors confiée aux tribus arabes alliées, Tanûkh, Sâlih puis Ghassân. Il est remarquable que la Notitia Dignitatum , qui offre une image des unités romaines en poste aux alentours de 400, ne mentionne aucune garnison au sud d'Aila, moderne Aqaba, qui est donc considérée comme la dernière place forte tenue par des unités romaines. Dans ce schéma, la véritable question qui se pose est la suivante : est-ce que le repli des postes défensifs s'accompagne ou non d'une perte de souveraineté de Rome sur la région ? La question n'est pas sans importance car elle détermine le statut de Hégra entre le IVe siècle et la conquête arabe, sachant qu'au milieu du IVe siècle, la ville est dirigée par un « chef » une sorte de maire ou de prince local. La question revient donc à savoir quel était le rayon d'action des unités stationnées à Aila. Pouvaient-elles, pour faire face à d'éventuels raids arabes affectant la zone entre Aila et Madâ'in Sâlih/al-Ula, envoyer des troupes qui ne pouvaient pas mettre moins de dix jours, à marche forcée, pour relier Aila à Madâ'in Sâlih, à 420 km à vol d'oiseau ? Voici l'état de la question et il ne pourra y avoir d'avancée réelle que si de nouveaux documents apparaissent, notamment pour préciser le rôle, dans la région, des foederati de Byzance, principalement Sâlih et Ghassân, dont l'activité est mieux connue plus au nord. Dans cette perspective, il faut rappeler que le site de Madâ'in Sâlih a livré plusieurs inscriptions écrites dans des caractères qui sont très nettement transitoires entre le nabatéen et l'arabe, probablement datés de l'intervalle IV ème -VI ème siècle, dont les régions d'al-Jawf et le site de Umm Jadhâyidh, à 150 km au nord-ouest de Hégra, avaient déjà fourni des exemples. Ces textes, dont les découvertes se multiplient, relativisent le déclin qu'auraient connu ces régions entre la fin de l'époque romaine et l'avènement de l'islam.

Pour en revenir plus strictement à l'histoire du royaume nabatéen lui-même, l'exploration du site de Hégra s'inscrit dans des problématiques diverses qui concernent toutes, de près ou de loin, la fonction, la chronologie et la nature du peuplement de cette agglomération située aux marges méridionales du royaume, à l'opposé du Hawrân syro-jordanien.

La première de ces problématiques est historique et géographique. On sait que la catégorie académique « nabatéen » est née au XIX ème siècle de la dénomination attribuée par le savant allemand G. Beer aux milliers d'inscriptions dites sinaïtiques. Depuis, on a appelé « nabatéen » tout texte dont l'écriture offrait une ressemblance avec les graffiti du Sinaï et cette dénomination généraliste, adoptée depuis lors par l'ensemble des savants, avec certaines réserves pour certains, n'a jamais été réellement remise en cause. Plus tard, elle a été appliquée à l'onomastique ainsi qu'à différents ensembles de la culture matérielle provenant de nombreux sites, au premier rang desquels la céramique, l'architecture, les techniques de taille de la pierre, la statuaire, etc. La question de la « spéciation » des différents territoires qui composent le royaume nabatéen, terme qui désigne le phénomène par lequel un territoire tend à se différencier de ses voisins, n'a jamais été clairement abordée. Or il ne fait pas de doute que la mise en évidence de cette spéciation est fondamentale pour la compréhension que nous voulons avoir du fonctionnement du royaume nabatéen, de ce qu'il représente, du mode de contrôle de son territoire, des liens et des contacts entre les différentes composantes du peuplement du Proche-Orient antique, etc. Elle contribuera également à faire la part entre un éventuel fond commun, des influences extérieures et des adaptations locales dues à de simples contingences environnementales. Des travaux autour de cette question ont déjà eu lieu ou sont en cours, notamment dans les domaines de l'écriture, du décor architectural et de l'urbanisme, mais il reste d'une part à y réintégrer l'Arabie du Nord-Ouest et d'autre part à les étendre à d'autres domaines. En étudiant un site qui se trouve dans une région jusque-là peu explorée de la Nabatène, qui plus est non loin d'une limite supposée de cette dernière, la Mission archéologique de Madâ'in Sâlih souhaite apporter sa contribution à ce débat. Plusieurs pistes de recherche se dessinent déjà, à travers, par exemple, l'organisation de l'espace dans la ville, les techniques hydrauliques, les techniques de taille de la pierre et le contenu des inscriptions (divinités mentionnées, noms propres, etc.).

Dans une perspective plus locale, on peut rappeler ici que Hégra est le site nabatéen majeur le plus méridional du royaume. Il se trouve donc non loin de ce qui continue à être appelé la « frontière » du royaume mais on ne sait pas si cette frontière est à comprendre au sens moderne du terme, c'est-à-dire une limite fixe et inamovible, au-delà de laquelle on ne se trouverait plus en territoire nabatéen, ou s'il s'agit d'un limite floue, définie au gré des fluctuations de l'espace maîtrisé par les acteurs du grand commerce caravanier et donc de leur aire d'influence et de contrôle. Cette question est loin d'être anodine car elle détermine en partie la définition que l'on pourra donner du royaume nabatéen.

Les problématiques archéologiques sont, elles aussi, multiples. La première est documentaire et vise à collecter autant d'informations que possible sur les vestiges du site, préalable nécessaire à toute analyse de l'organisation de l'espace. En effet, malgré le caractère monumental de la Mission archéologique en Arabie des Pères Jaussen et Savignac, l'inventaire des monuments n'y est pas exhaustif et leurs descriptions demeurent incomplètes. À cette problématique documentaire s'ajoutent des problématiques plus spécifiquement archéologiques. La première concerne l'extension et l'organisation spatiale du site, notamment la validité ou non du découpage en trois grands secteurs, funéraire, religieux et domestique. S'y ajoutent des problématiques liées à des thèmes plus précis : sur la gestion de l'eau et les modes d'adaptation des Nabatéens à un mode d'exploitation des ressources hydriques très différent de celui qu'ils ont utilisé à Pétra ; sur la question de la valeur économique que représente la réalisation d'un monument rupestre en fonction de ses dimensions, de son style, du volume de roche qu'il a été nécessaire d'extraire pour son dégagement, des techniques de taille qui ont été appliquées à l'extérieur et à l'intérieur, etc. D'autres thématiques émergent également, notamment sur les spécificités du décor architectural hégréen et ses parentés avec Pétra et d'autres sites de la péninsule arabique, sur les particularités de la production céramique locale et sur les échanges dont témoignent les productions importées, etc.

Au total, c'est toute la problématique du peuplement et antique de l'Arabie du Nord-Ouest, de ses spécificités et de son devenir, qui peut être abordée à travers l'étude du site de Madâ'in Sâlih.

 

http://www.diplomatie.gouv.fr

 

 

 
Le site de Medain El Saleh
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