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Mission archéologique en Arabie - Hégra -

 

Des ruines, des tombes, quelques lambeaux de texte ou des monuments parfois d'assez pauvre apparence, mais aptes à révéler quelque chose des générations qui ne sont plus : tel est le bilan ordinaire de 1'archéologie. Il serait difficile de le voir réalisé mieux et plus strictement qu'à Hégrâ. Des tombes innombrables, creusées eu toutes proportions aux flancs des collines, étalent leurs façades modestes ou prétentieuses; beaucoup de textes déclinent la généalogie d'inconnus très soucieux d'exprimer leur piété envers des dieux spéciaux, très empressés surtout à maudire qui oserait, dans l'avenir, troubler la paix de leur sépulture; d'autres ouvrages dans le roc, d'autres textes aussi, en relation manifeste avec la vie religieuse de ces habitants d'autrefois; mais de ville, point. Où donc étaient les demeures des vivants qu'implique cette vaste cité des morts qu'impliquent aussi les dévots sanctuaires dans les coins retirés et silencieux de la montagne ? A chercher vainement sur la plaine morne un débris monumental, comparable du moins à l'humble stèle qui signale au passant la plus humble tombe, on en vient presque à se demander si une ville est vraiment ensevelie sous ce linceul de sable. Ce nom moderne si déterminé dans la tradition arabe, le Héger ; imitation pure et simple peut-être du Hégrâ emphatique dans la langue araméenne des Nabatéens d'antan, inviterait même à penser que l'endroit était conçu, dès l'antiquité nabatéenne, beaucoup plus comme un centre de ralliement, — un entrepôt de commerce peut-être, un lieu de culte aussi et, par conséquent un site propice à une nécropole, — que comme une ville au sens précis attaché aujourd'hui à ce mot. Il y aura lieu en d'autres temps de scruter d'un peu près l'histoire et le rôle de Hégrâ. En ce compte rendu exclusivement documentaire de notre exploration, une telle enquête entraînerait trop loin. La constatation de cet état des ruines s'imposait cependant pour expliquer l'absence de données archéologiques sur Hégrâ ville nabatéenne, avant les chapitres consacrés à Hégrâ nécropole immense et centre de culte évident pour les Nabatéens.

Qu'il y ait eu là une cité des vivants, on ne saurait toutefois le mettre en doute dès qu'on réagit sur la première impression. Telle observation de détail, signalée déjà plus haut, suggérerait même l'hypothèse de plusieurs petites agglomérations disséminées à travers la plaine. Cependant, il faut retenir que ce qui reste des constructions de l'ancienne Hégrâ est insignifiant; on pourrait tout aussi bien dire qu'il n'en subsiste plus rien. Il n'y a pas, en effet, un seul pan de mur, pas deux assises hors de terre pour nous donner une idée de ce que pouvait être une maison nabatéenne, ou un monument quelconque bâti avec des pierres et non point creusé dans le roc. Nous avons signalé (p. 132) dans les ruines les plus méridionales, des arasements de murs au sommet d'une colline. Ces murs avaient un mètre d'épaisseur et étaient formés de pierres bien taillées mesurant en moyenne 0,25 m de haut sur 0,45 de long. On songerait volontiers à un château, à cause du site et aussi à cause de l'importance relative de la construction.

Au pied de la même colline, au nord-ouest, on voyait encore les fondations d'autres petits édifices carrés, d'environ 3 mètres de côté : sans doute des maisons. L'appareil était toujours le même, quoique les murs fussent beaucoup plus étroits. Comme pièces caractéristiques, nous n'y avons noté qu'un fragment de seuil de porte et un bloc de grès avec quelques lettres sabéennes. Il est fort douteux que nos successeurs trouvent encore en place l'un ou l'autre de ces mesquins débris, car les soldats étaient en train de fouiller le sable pour les arracher et les réduire en miettes afin de les utiliser comme ballast dans la construction de la voie ferrée. C'est en se livrant à ces fouilles archéologiques d'un nouveau genre que, le 25 avril 1907, ils mirent à jour un cadran solaire nabatéen. Par bonheur, les ouvriers reconnurent quelques signes d'écriture qui intriguèrent le directeur des travaux et firent mettre la pièce de côté. Le soir même, les officiers nous invitaient obligeamment à aller l'étudier (1).

(1) M. Dieulafoy a fait au sujet de ce monument une communication à l'Institut. Nous ne ferons guère que reproduire ce qui a été lu dans la séance de l'Académie [Acad. des Inscr. et Bel.-Let., Comptes rendus, juin 1907, p. 314 ss.).

Ce monument (fig. 113) est un petit bloc de grès mesurant à la base 0,35 m de large et au sommet 0,38 m, sur une hauteur de 0,42 m et une épaisseur moyenne de 0,25 m. La partie antérieure a été travaillée avec soin. Le bas affecte la forme d'un socle, haut de 0,15 m, sur le devant duquel est creusé un cartouche, large de 0,055 m, qui renferme quelques lettres nabatéennes en relief (inscr. nab., n° 112 bis). Une cassure a emporté l'angle inférieur de gauche, mais l'inscription n'a pas trop souffert de cette dégradation.

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Au-dessus du socle on a ménagé une manière de pied large de 0,11 m sur 0,09 m de haut, supportant le cadran proprement dit. Celui-ci est formé par une surface concave égalant un quart de sphère, de 0,26 m de diamètre. Il est divisé en douze parties égales par onze lignes, distantes les unes des autres, sur le bord, de 0,03 m, et coupées par un arc de cercle. Au point central, vers lequel convergent toutes les lignes, il y a une petite entaille de quelques millimètres de profondeur, faite sans doute pour recevoir une plaque de métal. Au-dessus, sur le rebord de la pierre, se trouve le trou dans lequel était fixée la tige destinée à projeter l'ombre. Les instruments dont nous disposions étaient insuffisants pour prendre des divisions de ce gnomon les mesures rigoureuses qui permettraient d'en établir le calcul mathématique.

La partie postérieure du bloc est à peine dégrossie dans le bas; le haut est arrondi, mais on y a ménagé, au centre, un léger relief affectant la forme d'un trapèze dont la base mesure 0,19 m, les côtés 0,13 m et le sommet, qui se fond avec le bord du cadran en arrière de l'aiguille, 0,06 m. Une bordure régulière, large de 0,06 m, entourait le cadran, aussi bien au sommet que sur le devant.

Il est fort regrettable que l'unique préoccupation des travaux du chemin de fer du Hedjaz n'ait point permis d'entreprendre une petite fouille en règle sur le point où a été découvert ce gnomon ; on y eût peut-être mis à jour d'autres objets encore plus intéressants et plus instructifs pour l'histoire de Hégrâ. Les voyageurs futurs qui voudraient se faire une idée des quelques pierres d'appareil exhumées lors de notre passage et broyées aussitôt, le pourront en étudiant de près les murs du qala'ah, ou bien les parois de certains puits. Il n'est pas douteux en effet que la plupart des matériaux du château de Médâin-Sâleh ne proviennent des ruines de l'ancienne ville et particulièrement du point que nous venons de signaler. Cette carrière a été aussi exploitée quand il s'est agi de réparer les puits : par exemple, le grand puits situé auprès de qasr el-Fahad (fig. 114) dans lequel nous avons relevé plusieurs inscriptions sur des blocs rapportés (nab., n° 172; min., n° 1 et 2).

Autant qu'il est permis d'en juger, d'après ces restes fort minimes, les édifices en pierre de taille n'ont jamais été bien nombreux à Hégrâ. Il du y en avoir à peine quelques-uns et encore, peut être pas même tout entiers. Dans bien des cas, les fondations seules paraissent avoir été en pierres; le reste était en briques crues. Ce mode de construction aurait été, croyons-nous, de beaucoup le plus répandu et cela expliquerait pourquoi il ne subsiste guère plus aujourd'hui de l'ancienne ville que quelques petits amas de terre. Les pierres d'appareil que nous avons mentionnées ne sont pas sans une étroite ressemblance, pour la taille et les dimensions, avec celles qu'on trouve dans les ruines de l'ouâdy Mousa. Ce peut être une ressemblance fortuite; mais il vaut la peine cependant de la noter, puisque Pétra et Hégrâ étaient les deux principaux centres du royaume de Nabatène (1).

A côté des débris informes des anciennes maisons, il existe des vieux puits qui méritent, eux aussi, une mention spéciale. Autrefois ils devaient être très nombreux à cause des plantations de palmiers qui formaient une véritable forêt au milieu de la plaine. Aujourd'hui encore, outre celui du qala'ah, on en compte six avec de l'eau; plusieurs autres sont reconnaissables et pourraient facilement être remis en état. Il est curieux de noter que presque tous se trouvent en dehors des ruines. Serait-ce parce qu'ils auraient été creusés après la destruction de la ville ? ou bien ne serait-ce pas plutôt parce que jadis il y avait là des jardins ? Il est impossible que tous les anciens puits aient disparu, à aucune époque même très courte, car Médâin-Sâleh est un point d'eau trop important dans le désert. Tous ne peuvent pas non plus avoir été remplacés successivement, car on avait toujours meilleur compte à entretenir les anciens qu'à en créer de nouveaux. La plupart des puits actuellement existants ont subi des réparations mais il est rare cependant que la partie inférieure de la construction ne soit pas ancienne; dans plusieurs, c'est même la plus grande partie de la paroi qui n'a pas été retouchée. Tandis que le haut est fait de pierres rapportées, parfois de grandeur assez inégale, et ajustées tant bien que mal, la maçonnerie primitive offre un caractère tout à fait homogène.

(1)  II n'est pas sûr du tout que les rares débris de constructions trouvés à Médâin-Sâleh doivent être attribués aux Nabatéens. Le fragment d'inscription minéenne découvert au milieu de ces ruines (p. 302), cinq autres inscriptions minéennes, gravées sur des pierres d'appareil actuellement encastrées, trois dans les murs du qala'ah et deux dans les parois d'un puits (p. 250 ss.) porteraient à croire, au contraire, que les édifices construits autrefois à Hégrâ étaient principalement l'œuvre des Minéens. Cela du reste ne semblera plus une invraisemblable hypothèse depuis la brillante démonstration faite par M. Clermont-Ganneau que les trafiquants minéens au lieu de se perdre dans un passé nébuleux donnent la main aux Nabatéens dans l'histoire vers la fin des temps hellénistiques.

Le mur est construit en blocs presque carrés de 0,25 m à 0,30 m de côté, grossièrement taillés, formant cependant des assises régulières d'un assez bel aspect quoique les joints soient considérables. Cette œuvre doit être antérieure à l'envahissement de l'Islam et à la ruine de Hégrâ, car aucun conquérant du désert ne se serait donné la peine d'extraire de nouveaux matériaux de construction alors qu'il aurait eu sous la main des pierres bien taillées. Mais il est inutile de chercher à assigner une date plus exacte, puisque en ce moment tout renseignement explicite fait défaut.

Le diamètre de tous ces puits varie entre deux et cinq mètres ; leur profondeur est de neuf à dix mètres. Dans le mur du puits aux inscriptions, nous relevons une sorte de chapiteau de pilastre (fig. 115) qui ailleurs passerait presque inaperçu. Nous lui trouverons de nombreux correspondants sculptés sur les façades des tombeaux.

Les misérables débris archéologiques brièvement énumérés ici : voilà tout ce qui reste au Heger de la cité des vivants. La ville des morts est bien autrement riche. Il semble que ces Nabatéens, toujours en route pour leur commerce, se préoccupaient assez peu de leurs demeures terrestres, asiles pour une nuit de temps en temps. Leur grand souci était la demeure d'au-delà, « demeure d'éternité », qui méritait par conséquent une attention toute spéciale. Aussi est-ce là que nous allons trouver déployées toutes les richesses de leur art.

 

 

Mission archéologique en Arabie, P. JAUSSEN et P. SAVIGNAC.

 

 


 

 
Le livre de la mission
 
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Description des livres ...
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La préface
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Le journal de la Mission en Arabie

 

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Qui est le père JAUSSEN et son binome SAVIGNAC ?
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Croquis des tombes

 

 

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