A cinq heures et demie nous sommes à Médâin-Sâleh et trois heures plus tard à el-'Ela, où l'on renouvelle le personnel qui est toujours le même depuis Tebouk, c'est-à-dire depuis hier à midi. On comprend que ces gens soient fatigués et qu'ils en prennent un peu à leur aise. Aidés par un ami dévoué qui nous fournit des ouvriers, nous profitons de l'obscurité de la nuit pour débarquer nos bagages et installer notre campement à quelques pas de la gare, non loin des tentes des soldats.
Vendredi 19 février — Nous avions réussi à atteindre el-‘Ela, mais cette fois encore nous ne devions point pénétrer dans le village. De bon matin nous avons la visite d'un beau nègre répondant au nom de Marzouq, qui se pare du titre de cheikh. C'est tout simplement un esclave de Farhan, cheikh des Leida, qui est préposé à la garde des jardins de son maître (1). Il nous donne sur la localité et les environs des renseignements très précieux et on voit qu'il désirerait se faire notre guide; nous tâchons de le cultiver. Le soir, visite du moudir d'el-'Ela qui s'oppose à ce que nous entrions dans le village avant d'avoir reçu des ordres de Médine. Cinq jours vont s'écouler en négociations infructueuses dont nous ne raconterons point le détail. Durant ce temps, malgré toutes les recommandations, nous sortons chaque jour et nous explorons les deux côtés de la vallée sur une longueur de trois kilomètres (2); nous y relevons nombre de graffites nabatéens, minéens et tamoudéens. Les officiers nous montrent aussi quelques pièces intéressantes mais ne nous autorisent point à les copier (3). Il y a actuellement à el-'Ela près de trois cents soldats occupés à différents travaux pour la construction du chemin de fer. Les officiers supérieurs, en général, et le commandant en particulier, ont été sympathiques et pleins d'égards pour nous. Nous tenons à les remercier de cette courtoisie d'autant plus appréciée, qu'elle contrastait singulièrement avec la manière d'agir de différents autres personnages.
(1) Quand en 1910 nous avons demandé des nouvelles de Marzouq, on nous a répondu : « Son maître l'a vendu ! » Bien qu'officiellement le commerce des esclaves soit interdit, il se pratique toujours chez les Arabes, en particulier au moment du Hagg, et les villes saintes, la Mecque surtout, resteront sans doute pendant longtemps un entrepôt plus ou moins avéré de chair humaine»
(2) On trouvera plus loin, p. 30 ss., la description de ces lieux.
(3) Nous avons réussi à les copier ensuite plus tard à Damas où ces inscriptions furent envoyées Voir min. n° 6 et lihy. N° 35-37.
A côté des ateliers militaires on s'essaie à réparer des machines. Cinq ou six locomotives, dont quelques-unes toutes neuves, détraquées par de mauvais chauffeurs, sont livrées entre les mains de mécaniciens non moins inhabiles qui achèvent de les détériorer. « II n'y a pas là un seul ouvrier européen », nous dit l'un d'entre eux avec une fierté non déguisée. Il n'avait pas besoin d'en faire la remarque !
Mercredi 24 février — Grâce aux agissements de ceux qui auraient dû chercher à maintenir la paix, il y a dans le village une certaine effervescence qui va en s'accentuant. On nous en a avertis depuis deux jours et il devient manifeste qu'on nous empêchera jusqu'au bout de travailler. Il s'agit de ne pas compromettre le reste de notre voyage, et surtout l'excursion de Teima, par un séjour trop prolongé ici. Nous profitons donc d'un train qui part ce matin pour Médâin-Sâleh. Le commandant a l'amabilité de mettre à notre disposition pour transporter et charger les bagages plusieurs hommes, auxquels il est impossible de rien faire accepter. Honneur à l'armée ! Le train défile le long de l'oasis (pl. II, 3), puis sous la paroi des grands rochers de Hereibeh, percés de petits trous qui marquent l'emplacement d'anciennes tombes et sans doute aussi l'emplacement de plusieurs inscriptions (pl. III, 1). Reverrons-nous jamais ces lieux ? En tout cas, pour plus de précaution, nous prenons quelques photographies, au passage, de dessus notre wagon, un wagon citerne.
Arrivés à Médâin-Sâleh, nous cherchons à organiser aussitôt l'expédition de Teima. Un exprès est envoyé au cheikh Sahab des Fuqarâ avec qui nous avons déjà lié partie; mais Sahab vient d'émigrer avec son clan, à plusieurs journées à l'est. Il faut s'adresser à Mutlaq, le grand cheikh, campé dans les environs de Dâr el-Hamrâ. Pendant ces démarches, nous travaillons à vérifier plusieurs inscriptions et à compléter notre étude des monuments de Médâin-Sâleh.
Depuis le printemps de 1907, la localité est transformée. On a bâti un château d'eau, deux qala 'ah, trois belles maisons en pierre de taille et l'on est en train de faire un immense hangar pour les machines. A côté de ces constructions qui constituent la gare il y en a d'autres en briques séchées au soleil; c'est un petit village où il est facile de s'approvisionner des choses les plus nécessaires.
Nous retrouvons là notre ami, M. Egidio Denti, avec son intrépide compagne, Mme Stella Denti, qui nous ont jadis reçus à el-Ahdar. Ils nous prêteront durant tout notre séjour un concours empressé dont nous sommes heureux de les remercier encore ici, une fois de plus. M. Soubhy bey, chef de section, ‘Abbâs effendi son adjoint, Rifâ'at (1) bey, ingénieur, et Abd-ul-Megid Ybo, entrepreneur de Damas, constituent avec M. et Mme Denti la haute société de l'endroit. Tous sont charmants et plusieurs d'entre eux nous ont rendu d'importants services.
Dimanche 28 février - Ce matin à 9 heures commence un vent violent, venant du nord-ouest, qui soulève des nuages de poussière; on n'y voit absolument rien à quelques mètres de distance. Le sable envahit tout; nous avons beau fermer la tente, il est impossible d'écrire et même de travailler à quoi que ce soit avant quatre heures du soir. A ce moment, la tempête s'apaise un peu et, vers les neuf heures, il n'y a guère plus de vent. Il paraît qu'on a assez fréquemment à Médâin-Sâleh de ces bourrasques, surtout pendant l'été.
Lundi 1er mars - Nous avons enfin la réponse des Fuqarâ, apportée par Mohammed el-'Abid le majordome de Mutlaq. Mohammed, jadis simple esclave du cheikh, est devenu aujourd'hui un des hommes les plus influents de la tribu. Grâce à son intelligence et à la vigueur de son bras, il s'est créé une position incontestable et incontestée. Le gouvernement lui sert des appointements réguliers comme aux cheikhs échelonnés le long du derb el-Hagg, et Mutlaq, fort âgé, lui confie le soin de conduire toutes les expéditions. Nos hommes connaissent depuis longtemps Mohammed, pour l'avoir vu à Mâdabâ et au Kérak où, tous les ans, au mois d'août, avant la construction du chemin de fer, la tribu des Fuqarâ allait chercher sa provision de blé pour l'année. Ce sont eux qui nous ont engagés à demander comme rafîq ce grand nègre dont ils vantent beaucoup la fidélité et la bravoure.
Après les discussions, toujours obligatoires dans de pareils cas, nous arrêtons les conditions d'un traité. Mohammed lui-même nous conduira à Teima moyennant trente mégidy pour sa solde personnelle et fournira les montures au prix de douze mégidy par chameau. En route, nous nous arrêterons tant que nous voudrons pour copier les inscriptions; le guide nous indiquera les endroits où il y en a et nous fera passer par el-Mukattabeh (…). Nous pourrons rester à Teima dix jours si nous le voulons; Mohammed favorisera notre entrée et notre séjour dans l'oasis, mais il déclare cependant ne pas pouvoir répondre de l'accueil qui nous attend. Notre départ aura lieu dès demain, après l'arrivée du cheikh Mutlaq qui vient à Médâin-Sâleh avec le gros de la tribu et dont « le bon plaisir » est requis. Le grand cheikh ne changera rien aux conditions réglées par Mohammed, seulement il lui faut son bakchich ; ainsi le veut la tradition.
Rifâ'at bey, nommé chef de section au delà de Hedyeh attendait qu'on lui eût construit un abri pour aller rejoindre, son poste très dangereux en ce moment. L'infortuné jeune homme devait y perdre la vie quelques mois plus tard, tué par les bédouins.
Mardi 2 mars — Le soleil est déjà haut et point d'Arabes. Nos projets auront-ils encore été déjoués ? Mohammed n'est pas homme à manquer de parole, mais aura-t-il été libre d'agir ? Nous commencions à en douter, quand on annonça un groupe de bédouins s'avançant dans la plaine. Notre futur guide ne tardait pas à arriver avec une quinzaine d'Arabes montés sur de superbes deloul . Bientôt après, cheikh Mutlaq, escorté de deux de ses fils à cheval et d'un certain nombre d'autres personnes, venait à son tour faire agenouiller sa chamelle devant la porte de notre tente.
Mutlaq, avec qui Huber avait eu déjà affaire en 1882 (1), est un beau vieillard de plus de quatre-vingts ans, la rumeur publique lui en donne de quatre-vingt-cinq à quatre-vingt-six. Petit de taille, un peu trapu et légèrement voûté, il marche encore assez fièrement pour son âge. Sa grosse figure est enveloppée d'un kefiyeh de couleur laissant voir seulement deux yeux vifs qui pétillent au fond de leur orbite, au-dessus d'une forte moustache blanche, toute hérissée. Il porte le grand manteau bédouin et en dessous plusieurs tuniques aux manches traînantes. Au lieu des grandes bottes rouges que chaussent tous les bédouins de marque, il a une paire de gros souliers jaunes, achetés dans un bazar d'ouvriers, et qu'il n'a pas encore appris à lacer.
On connaît le procédé des Orientaux, n'abordant jamais de front le sujet à traiter. Après avoir demandé bien des fois à notre hôte des nouvelles de sa santé et fait des vœux multiples pour la prolongation de ses jours, on parle de choses indifférentes, puis, comme par hasard, on glisse un mot sur le voyage projeté. « Vous irez à Teima, dit Mutlaq d'un air sentencieux, si vous satisfaites mon bon plaisir » (ida tutayieb hatry). — « In sa' Allah » (s'il plaît à Dieu), répondons-nous en chœur. — « Et quel serait ton bon plaisir ? » lui demande-t-on, après un instant de silence. — « Quatre-vingts livres » (1.600 fr.)! — C'était un peu cher et notre premier mouvement fut de remercier le cheikh de s'être dérangé, car nos modestes ressources ne nous permettraient jamais de lui offrir quelque chose répondant à ses désirs. Nos hommes de Mâdabâ qui ont jadis rendu quelques petits services à Mutlaq et lui ont même prêté de l'argent, plaident notre cause à qui mieux mieux. Au bout d'une heure de discussion, le cheikh nous fait dire que « pour eux » il voudra bien se contenter de soixante livres. Nous déclarons à notre tour aimer mieux rester sous la tente que voyager à de pareilles conditions et on se quitte là-dessus.
HUBKB, Journal..., p. 371.
Cependant Mutlaq n'a guère moins envie que nous de voir réussir l'expédition, car c'est en somme pour lui une bonne aubaine. Aussi les négociations ne tardent-elles pas à reprendre en dessous entre les bédouins de Mâdabâ et les principaux des Fuqarâ. Mohammed vient nous trouver pour essayer de tout arranger. Nous lui offrons trente megidy pour Mutlaq. Mais il fait remarquer avec assez de justesse qu'il faut bien quelque chose de plus au grand cheikh qu'à son 'abed. Nous sommes obligés d'en convenir et nous nous décidons finalement à y aller de deux cents francs, tout en protestant que c'est notre dernier mot. Quelques minutes plus tard, un traité en règle était rédigé et signé, tout l'argent versé d'avance, et nous partions.
Par suite de difficultés d'un nouveau genre, l'excursion à Teima racontée plus loin (p. 109 ss.) dura moins que nous ne l'aurions souhaité. Le mardi 9 mars, nous étions déjà de retour à Médâin-Sâleh.
Mercredi 10 mars — La journée entière est employée à compléter les notes de voyage, à revoir l'itinéraire de Teima, à en vérifier les noms avec quelques Fuqarâ différents de ceux qui nous ont conduits et qui connaissent très bien toute la région que nous avons traversée, car ils y campent chaque année pendant plusieurs mois. Les jours suivants, nous recommençons à errer à travers les monuments de l'ancienne Hégrâ et nous avisons à un moyen pratique pour redescendre jusqu'aux portes d'el-'Ela et aller explorer les ruines de Hereibeh qui avaient attiré notre attention en passant en chemin de fer.
Samedi 13 mars — Avant le lever du jour, l'un de nous, sous le nom d'Ibrahim effendi et déguisé en ingénieur, part avec un chef de district pour aller visiter les fameuses ruines. Nous les atteignons sans difficulté. Un individu d'el-'Ela, occupé dans les environs, nous conduit lui-même à travers les premiers décombres et nous montre les statues et les inscriptions découvertes à cet endroit. « Ces inscriptions, dit notre homme, écrites par des Kuffârs , dans une écriture et une langue inconnues, les chrétiens se vantent de pouvoir les lire ! » Naturellement, Ibrahim effendi croit de son devoir de protester contre de pareilles assertions et ne jette sur ces débris qu'un regard discret, en apparence fort désintéressé. Le 'Alawy (1) étant revenu à son travail, nous nous empressons d'examiner le tout de beaucoup plus 'près. Nous pouvons passer une demi-journée sur les lieux, prendre deux douzaines de photographies, copier un nombre assez considérable d'inscriptions et nous rendre compte du travail qu'il y aurait à faire.
Mercredi 17 mars — L'expédition de Hereibeh nous a paru en valoir la peine et ces deux derniers jours ont été consacrés à l'organiser. Cela n'a pas été Sans difficulté. Mohammed seul pouvait nous servir de guide. Il ne craignait pas les 'Alawy qu'il traitait avec un souverain mépris, déclarant que s'ils osaient entreprendre quelque chose contre lui, cette année ils ne récolteraient pas une datte, mais les Fuqarâ sont en guerre avec un clan des Bély et il n'est pas prudent d'aller stationner pendant plusieurs jours à la frontière des deux tribus, dans une sorte de coupe-gorge. C'est précisément aux environs de Hereibeh qu'a eu lieu la dernière rencontre dans laquelle un cousin du cheikh Sahab a perdu la vie. On se surveille de part et d'autre, attendant une occasion favorable pour en venir aux mains. Aussi les conditions de l''abed ont été un peu dures, car il a demandé à amener avec lui au moins quatre hommes armés. De notre côté nous serons trois, ce qui formera une petite troupe respectable.
Hier au soir, toutes les dernières dispositions ont été prises. Nous quittons Médâin-Sâleh à deux heures de la nuit; à six heures et demie nous arrivons à Hereibeh (pl. III, 2) et nous commençons aussitôt à travailler. La journée entière nous sommes seuls; nous pouvons estamper, photographier, copier, sans que personne vienne nous déranger. Avant le coucher du soleil, nous regagnons prudemment, pour y passer la nuit, un campement d'ouvriers italiens occupés à la construction de la gare de l'ouâdy el-Hasîs, entre el-'Ela et Médâin-Sâleh.
Jeudi 18 mars — Dès le point du jour nous sommes de nouveau au travail. Nous avons hâte de terminer, car nous sentons très bien qu'on ne nous laissera pas libres pendant longtemps. Tous les matins, quelques gens d'el-'Ela viennent aux environs de Hereibeh travailler à dégager d'anciens canaux. Hier ils nous ont remarqués et le soir on a beaucoup causé de nous dans le village. On s'est même un peu excité en nous voyant reparaître malgré l'ordre si formel qu'on nous avait donné de quitter ces parages et de ne plus y revenir. Nous avons l'air de braver les habitants d'el-‘Ela et de nous moquer d'eux, en travaillant ainsi sous leur nez sans tenir compte de leur défense.
'Alawy est le nom gentilice des gens d'el-'Ela.
Vers dix heures, nous recevons la visite des trois cheikhs du village qui viennent nous sommer de livrer nos carnets avec nos estampages et de partir tout de suite, sans quoi on nous tire dessus. Comme ils sont seuls contre nous sept, il n'y a pas à craindre grand chose pour le moment ; on commence donc par discuter. Pendant ces pourparlers assez violents l'un de nous achève de copier les derniers graffites lisibles.
Nous avons fini le gros de l'ouvrage; prolonger notre séjour dans de pareilles conditions ne serait pas très prudent. Après avoir discuté pendant une heure, nous promettons de nous en aller à midi, et de leur côté les cheikhs se retirent. Nous prenons quelques dernières photographies et vers quatre heures, nous nous dirigeons lentement du côté de l'ouâdy Hasîs en recherchant les graffites le long de la voie.
Le large défilé par lequel nous remontons en suivant la voie ferrée porte le nom de el-'Edeib (…). Un peu au nord du kilomètre 972 sur l es premiers grands rochers, à l'est, se trouvent quelques petits graffites (lihy. n- 325-330). En face, dans la vallée, une colline de sable d'où émergent de nombreuses touffes de tarfas (pl. IV, 2) rappelle par sa forme les tells de la plaine de Philistie ou de la Séphéla. On ne croira pas cependant à l'emplacement d'une ancienne localité, bâtie dans le genre des villes cananéennes. Les sables, charriés par le vent et arrêtés par les broussailles et les tarfas, ont formé sans doute peu à peu cette colline qui doit être entièrement l'œuvre de la nature.
Trois cents mètres plus loin, nous côtoyons de grands sommets à pic au pied desquels, en s'avançant quelques pas vers l'est, on découvre un certain nombre de graffites lihyanites (n° 331-337). Il y en a encore un petit groupe un peu plus loin, entre les kilomètres 970 et 969 (n° 340-345).
Les braves ouvriers italiens nous font de nouveau le plus sympathique accueil et nous passons encore avec eux une excellente soirée et une bonne nuit. Nous garderons le meilleur souvenir de leur cordiale hospitalité dont nous les remercions ici une fois de plus.
Vendredi 19 mars - Nous repartons de bonne heure pour Médâin-Sâleh. Nous allons à pied, afin d'être plus libres pour chercher les inscriptions en cours de route. L'ouâdy Hasîs doit son nom à une grande herbe verte, haute comme des joncs, mais à la tige aplatie et plus flexible. Elle pousse en abondance dans cette vallée et révèle une nappe d'eau peu profonde. Il a suffi de creuser des trous de quelques mètres de profondeur pour avoir une eau excellente. Il ne semble pas cependant qu'il y ait eu là autrefois des puits très importants. L'endroit est un peu resserré et les bédouins, pas plus que les voyageurs, ne devaient y séjourner volontiers. On aimait mieux s'arrêter un peu plus haut, ou un peu plus bas, à Médâin-Sâleh ou à el-‘Ela, où l'on trouvait aussi de l'eau en abondance et un peu plus de sécurité.
Le chemin qui remonte vers el-Heger n'est point encaissé entre deux lignes de montagnes continues. Il s'engage à travers une suite de sommets isolés, plus ou moins importants et de plus en plus distants les uns des autres à mesure qu'on approche de la plaine de Médâin-Sâleh. Ces masses de grès affectent les formes les plus bizarres. D'énormes rochers, dont la base formée d'une pierre moins dure que le reste a été rongée par les intempéries des saisons, ressemblent à de gigantesques champignons. Un des plus beaux types du genre est le rocher dit Marbout el-Hesan (1) ( … ) qui se dresse dans la plaine d'el-Heger au sud-ouest de qasr el-Bint (pl. IV, 1).
Au sud du kilomètre 964, mais tout près, à deux cents mètres de la voie, à l'est, on trouve sur les parois d'une grosse colline appelée Quebour el-Gindy (…) plusieurs graffites nabatéens (n° 225 ss.) et même un graffite grec (n° 4). Dans le flanc nord-ouest de cette masse rocheuse était taillé un escalier rudimentaire, aujourd'hui très détérioré, qui permettait jadis sans doute de monter sur le sommet de la colline où il y aurait eu un monument quelconque, peut-être une tombe, ainsi que semblerait l'indiquer le nom de l'endroit. Il nous a été impossible de tenter cette périlleuse ascension.
En continuant cinq minutes plus loin, dans la direction nord-ouest, on passe à côté d'une autre colline d'où se sont détachés quelques blocs énormes. Il y a là sur ces blocs, au bord de la voie, à l'est, un nombre relativement considérable de graffites grecs (n° 328 ss.), nabatéens (n° 5-13) et lihyanites (n° 347 ss.). La colline voisine, à l'ouest de la voie, présente aussi quelques autres petits textes.
Nouveaux graffites, lihyanites surtout, au nord du kilomètre 964, à l'ouest de la voie, sur les parois d'un petit sommet qui porte le nom de Hadbet el-'Abîd (…). A une cinquantaine de mètres au sud-ouest du kilomètre 961, nous relevons quelques noms nabatéens. Il y a un groupe plus important de textes de toute sorte, en face, à cent mètres environ à l'est de la voie, sur la paroi sud-ouest d'une colline rocheuse dite Mahzin el-Gindy.
(1) D'après la légende, c'est à ce rocher que l'ami de Beteineh attachait son cheval quand il venait passer les nuits auprès d'elle (vol. I, p. 115); de là le nom de Marbout el-Hesân.
Samedi 20 mars — Durant la seconde partie de la nuit, le tonnerre a grondé presque continuellement. Le matin, vers neuf heures, éclate un violent orage. La forte pluie n'a duré que dix minutes. Néanmoins, au dire des Arabes, elle est suffisante pour faire pousser un peu d'herbe et rendre aux arbustes leur verdure et leur fraîcheur. C'est la première pluie de l'année et probablement aussi la dernière. Nous passons encore à Médâin-Sâleh une dizaine de jours employés à revoir certains monuments de plus près et à étudier les coutumes des Arabes, des Fuqarà en particulier, avec lesquels nous pouvons cette année nous entretenir librement. La monotonie de ces journées est un peu rompue par la cérémonie du mariage du chef de gare de Médâin qui a épousé une jeune bédouine de quatorze ans. Vers le coucher du soleil on amène en grand triomphe à la maison de l'époux, avec des chants et de nombreux coups de fusils, la jeune mariée, placée sur un chameau magnifiquement paré. Le soir il y a dîner de gala suivi d'une illumination avec des herbes imbibées de pétrole.
Les magasins de Médâin-Sâleh avaient réussi à fournir les étoffes qui devaient composer la corbeille de mariage; mais impossible de trouver dans le pays une paire de bas pour compléter la toilette de la future ! Pour cet article, il fallut recourir à l'obligeance de Mme Denti qui en offrit plusieurs paires à titre de don gracieux. Rarement sans doute, des personnes distinguées ont l'occasion de faire un pareil cadeau à une nouvelle mariée (1).
Notre but était de gagner la mer Rouge à travers le Harrah et de remonter ensuite vers ‘Aqabah en parcourant l'ancien pays de Madian.
( … )
(1) Quelques mois plus tard, le chef de gare de Médâin-SâIeh ayant reçu son changement abandonnait sa femme au désert. Celle-ci. durant notre séjour à el-'Ela, l'année suivante devenait l'épouse du médecin major du district; mais au bout de deux jours, c'était elle qui prenait la fuite et venait se réfugier auprès de l'un de nos soldats, son oncle. Comme elle n'avait point de père, et que cet oncle n'avait point été consulté pour le mariage, il ne se crut pas obligé de la rendre. Il la garda donc avec lui, attendant le départ du major pour la céder à un troisième, sinon à un quatrième mari.