Leur arrivée dans la région
Les Nabatéens sont un peuple arabe descendant de nomades d'Arabie du Sud ou de la région de l'actuel Koweït. Ils arrivent en Edom ou Idumée (partie sud de la Jordanie actuelle) au VIe siècle avant J.C. Edom était en principe habitée par les Edomites, peuple d'origine sémite. Peu de temps avant l'arrivée des Nabatéens, en 588, la Palestine avait été conquise par Nabuchodonosor, roi babylonien qui avait déporté la population juive. Les Edomites profitent de l'exil des Juifs pour envahir le sud de la Judée (l'un des deux Etats juifs : Israël au nord, Judée au sud). Quand les Nabatéens arrivent, l'Idumée est pratiquement vide de ses habitants ce qui leur permet de s'installer sans difficultés.
Leurs coutumes
Au début les Nabatéens sont des nomades. D'après Diodore de Sicile ( Bibliothèque historique , une source du premier siècle av. J. C.), ils ne sont pas plus de dix mille et ils ont pour coutume "de ne pas semer de blé, de ne pas planter d'arbres fruitiers, de ne pas boire de vin et de ne pas construire de maison", ces interdits étant sanctionnés par la peine de mort et justifiés par la volonté de garder leur indépendance. Selon Diodore, ils sont les plus riches des tribus arabes car "ils transportent jusqu'à la mer l'encens, la myrrhe et les plus précieux des aromates que leur remettent ceux qui les acheminent depuis l'Arabie dite "heureuse" (le sud-ouest de l'Arabie).
Le commerce des aromates
Pour comprendre la position qu'occupent les Nabatéens dans l'économie mondiale par le commerce des aromates, il faut en expliquer l'importance pour les hommes de l'antiquité. En Egypte, dès le IIIe millénaire, les prêtres ont révélé les prodigieuses vertus des aromates: leur combustion, ou les potions qu'on préparait avec eux, permettait de communiquer avec les Dieux. Le monde grec en ajoute d'autres qui en font un élément central de la vie en société. La myrrhe transforme le vin en apéritif amer et excitant ; ajoutée aux mets, elle les rehausse comme un assaisonnement. On en fait des onguents, des baumes. En fumigation, les aromates provoquent des effets euphoriques ou troublants jusqu'à l'extase. Erotiques, ils sont associés au plaisir qu'ils décuplent. En Palestine et en Arabie on s'en sert encore pour embaumer les cadavres. Toutes ces utilisations expliquent la demande très importante d'aromates. Les aromates coûtent cher, très cher même. Au IVe siècle av. J.C. un quart de litre d'huile parfumé s'échangeait à Athènes contre cinq à dix mines, équivalent à la valeur de 500 à 1000 journées de travail d'un citoyen participant à l'assemblée du peuple. A Rome, la myrrhe valait huit fois plus cher que le meilleur encens, jusqu'à cinquante deniers la livre (demi-kilo), équivalent à soixante-quinze jours de salaire d'un travailleur manuel.
Cette cherté tient, bien entendu, au déséquilibre entre la production et la consommation (l'offre et la demande). Mais pas seulement. Récoltés dans le sud de l'Arabie, leur transport est ruineux. De Shabwa, où se constituent les caravanes, à Gaza d'où ils sont exportés vers la Grèce ou Rome, il faut compter entre 69 et 88 jours de trajet, 65 étapes où, chaque fois, il faut descendre et recharger les ballots et, surtout, payer les taxes. "Tout le long de la route, écrit Pline, un écrivain du premier siècle après J.-C., ils ne cessent de payer, ici pour l'eau, là pour le fourrage (nourriture des animaux) ou les frais d'hébergement lors des haltes, et les divers octrois (comme des droits de douane). Si bien que les frais s'élèvent à 688 deniers par chameau ; avant qu'on ait atteint la côte méditerranéenne." Outre les aromates, les caravanes transportent à peu près tout ce qu'on considérait comme précieux : "des diamants, et des saphirs, de l'ivoire et du coton, de l'indigo, du lapis-lazuli, et surtout du poivre, des dattes et du vin, de l'or et des esclaves." (Pline). Deux fois par an arrivent de Hegra au nord de Médine les immenses caravanes qui viennent du sud lointain. Etirées sur plusieurs kilomètres de long, elles comptent des milliers de dromadaires auxquels s'ajoutent les hommes, chameliers, marchands, serviteurs, voyageurs.
La survie dans le désert
Le long de l'itinéraire des caravanes, les Nabatéens creusent une chaîne de citernes commençant au nord de l'Arabie pour aboutir à la côte. La capacité de réaliser de tels travaux distingue ce peuple de toutes les autres tribus nomades : celles-ci dépendaient entièrement des sources d'eau isolées et dispersées qui formaient les oasis. De bonne heure, les Nabatéens se sont rendu compte que le désert le plus sec bénéficie de pluie une ou deux fois par an. "Ils creusent de grands trous dans le sol ; ils leur donnent un orifice (une ouverture) minuscule, mais ils l'élargissent au fur et à mesure qu'ils creusent, si bien qu'à la fin, la dimension obtenue est celle d'un plètre (30 mètres environ) de chaque côté. Après avoir rempli ces réservoirs d'eau de pluie, ils en bouchent les ouvertures et égalisent le sol tout autour tout en laissant des signes connus d'eux, mais imperceptibles pour les autres. Ils ne donnent à boire au petit bétail que tous les trois jours pour qu'il n'ait pas sans cesse besoin d'eau." (Diodore) Ils emmagasinaient ainsi de l'eau pour une ou deux années. Si l'on estime que les dimensions données par Diodore ne sont pas exagérées, une citerne "moyenne" pouvait contenir 4000 mètres cubes d'eau, mais même un dixième ou un cinquième de cette quantité pouvait suffire aux besoins d'une caravane pendant plus d'un an. Les Nabatéens élèvent des chameaux et du petit bétail, chameaux qui leur servent à traverser l'immense désert, moutons et chèvres qui servent de nourriture aux caravanes.
Petra
Peu à peu, les Nabatéens se sédentarisent autour des points d'eau qui sourdent du labyrinthe rocheux de Petra, aménagent en terrasses bien cultivées les flancs de vallées des torrents qui dévalent vers le wadi Araba, et installent leurs hauts lieux sur les sommets qui dominent les steppes d'où ils sont issus, et d'où ils continuent de drainer leurs richesses. Au coeur du massif disséqué par l'érosion, protégé par l'étroit couloir d'accès du Siq, ils entreposent leurs marchandises et leurs fabuleux trésors. Le choix de Petra n'est pas fortuit. La ville se trouve en effet au confluent de trois routes majeures du Proche-Orient : celle, venant du nord, de la Syrie ; celle, venant de l'ouest, de Gaza et de la Méditerranée ; celle, venant du sud, de la mer Rouge et de l'Arabie. A partir de Ma'an, elle se divise en deux branches, l'une qui mène à Aqaba, l'autre allant vers la Mecque. Il ne faudrait pas s'imaginer qu'avant le premier siècle av. J.-C. Petra ressemble de près ou de loin aux somptueuses capitales mésopotamiennes ou méditerranéennes de l'Antiquité. L'habitat des Nabatéens, c'est la tente, et il le reste au moins jusqu'au IIIe siècle av. J.-C. Peu à peu, ils deviennent bâtisseurs... malhabiles d'abord, les fouilles le confirment. Petra ressemble longtemps à un vaste campement mêlant bâtisses boiteuses posées à même le sol, tentes traditionnelles en poil de chèvre, habitat rupestre (taillé à même le roc).
Si bien protégé par les montagnes, ce n'est qu'au dernier siècle av. J.-C. que la ville se métamorphose. A partir du wadi Moussa, qui la traverse d'est en ouest, une partition s'effectue entre quartiers publics et domestiques. Au centre apparaissent, sous l'influence héllenistique, thermes, marchés, temples, nymphée, théatre ; à la périphérie, les zones d'habitation, construites ou rupestres. Pour accueillir les grandes caravanes, des villages satellites sont créés où bivouaquent dromadaires et chameliers. Des aménagements y sont faits pour rendre leur séjour plus agréable. La capitale nabatéenne est alors une place internationale, à la fois entrepôt, centre commercial, place bancaire, centre religieux. Elle est aussi une immense nécropole où ce peuple nomade réserve à ses morts les plus somptueuses demeures.
La société nabatéenne
Cette évolution rapide, de la tente noire en poil de chèvres des Bédouins d'Arabie à la cité aux temples et aux tombeaux taillés dans le roc, n'altère pas les vertus qui font l'emerveillement de leurs visiteurs. Les Nabatéens se sont donnés une monarchie très inspirée du modèle de leurs voisins, les Grecs d'Egypte et de Syrie. Certains rois sont divinisés après leur mort. Strabon (58 av.J.C. - 25 après J.C.) dit dans sa Géographie que les Nabatéens ont des lois excellentes, et, chacun étant conscient de ses droits et de ses devoirs, ils vivent dans l'harmonie la plus totale ! Il ajoute, tout comme Diodore de Sicile, que les Nabatéens sont très travailleurs : la richesse est une vertu sociale, à tel point que le citoyen dont les revenus baissent est mis à l'amende, et celui dont les revenus s'élèvent, à l'honneur.
Les Nabatéens et l'influence de leurs voisins
Commerçants au contact de l'Orient et de l'Occident, les Nabatéens font preuve d'une grande capacité d'adaptation. L'architecture des monuments de Petra tire sa splendeur de la fusion des emprunts faits à la fois au monde gréco-romain, à l'Egypte et à la Perse. Leur panthéon d'origine sémitique, s'identifiera à celui de Rome ; préfiguration du syncrétisme et de la tolérance qui s'étendront sur l'Empire romain quelques siècles plus tard, et que le triomphe du christianisme fera disparaître. Il y a là Dushara, dont le nom a subsisté dans la montagne qui enserre Petra, la Shara, et qui sera identifié à Dionysos ; Isis, divinité égyptienne ; Baalshamine, dieu syrien ; Allat, la déesse-mère, et Al Uzza, identifiée à Vénus, l'étoile du matin, qui règneront aussi à la Mecque jusqu'à l'avènement de l'Islam. Dieux bienfaisants, protecteurs, qui règnent avec mansuétude sur le bonheur de vivre. Le royaume des Nabatéens, la Nabatène, domine un immense territoire de près de deux mille kilomètres de côté. Il se trouve à l'est des états juifs et de la Decapole, inclut le Neguev et monte au nord jusqu'au Hauran. La langue de communication était l'araméen. Les Nabatéens ont eu au cours des siècles des conflits divers avec leurs différents voisins avec des alliances changeantes. Mais c'est l'empire romain qui s'est finalement avéré le plus fort. Déjà en 64 av. J.-C. les Romains qui veulent prendre le commerce des aromates en main essaient de s'emparer de la Nabatène. Le roi nabatéen qui sait sa capitale imprenable refuse de se battre et offre 300 talents d'argent comme tribut contre le départ de l'armée romaine. Le général Scaurus accepte.
Déclin
Le déclin de la Nabatène n'est pas dû à une défaite militaire, mais à un changement économique. En 25 av. J.-C. les Romains essaient une autre fois de s'emparer des aromates. Cette fois ils n'attaquent pas leur distributeur, la Nabatène, à laquelle ils sont alliés, mais ils comptent s'emparer du producteur, l'Arabia Felix. Les Nabatéens leur déconseillent de prendre la route de terre et leur proposent la voie maritime. La campagne est un échec total, mais s'avère quand même profitable aux Romains. Ils savent maintenant que l'Arabie est accessible par mer et découvrent peu à peu que les vents de mousson permettent de descendre et de remonter sans problèmes la mer Rouge. (La mousson souffle du sud-ouest de mai en octobre et du nord-est de novembre à mars. Il faut donc descendre en hiver et remonter en été.) Les négociants latins et égyptiens ouvrent donc une nouvelle route, maritime cette fois qui va du golfe d'Aden à des ports égyptiens. Les marchandises débarquées gagnent alors, à dos de chameau, le Nil d'où elles sont rechargées sur des felouques qui les descendent jusqu'à Alexandrie. A partir de là elles prennent le chemin de Rome. Pour les Nabatéens, privés de leur principal revenu - le commerce des aromates - commence la décadence. Dépossédés de la grande route du sud, ils se tournent vers celles du nord, qui traversent la Syrie, et développent l'exploitation agricole dans le Néguev comme dans le Hauran. Les changements les amènent à transférer leur capitale à Bosra (au sud-est de la Syrie actuelle, dans le Hauran), réléguant Petra au rang de centre religieux et de ville secondaire. En 106 après J-C, à la mort du roi nabatéen Rabbel II, l'empereur Trajan annexe sans brutalité le royaume, qui devient une province, parmi les autres, de l'espace romain. Il met ainsi fin au pouvoir politique nabatéen, mais non à la survie du peuple. La ville de Petra continue son existence jusqu'à la fin du VIe siècle au moins.
Sources d'information :
- Noël Laveau / Le guide de la Jordanie, Editions La Manufacture 1996 - Jordanie. Guides bleus. Hachette 1996
- Marc Lavergne : La Jordanie, Editions Karthala 1996
- Jean-Marie Dentzer : La Jordanie héllenistique et nabatéenne, dans : Jordanie sur les pas des archéologues, catalogue de l'exposition à l'Institut du monde arabe du 13 juin au 5 octobre 1997, pp. 99s.
- A. Negev : Les Nabatéens au Negev, dans : Le monde de la Bible, 19, mai-juin 1981, pp. 4 - 9
- Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, II, 48 - 49, XLX, 94 - 100
- Jean Pages, André Nied : Itinéraires de la mer Rouge. Antiquité - Moyen Age, Etudes d'histoire maritime 8, Ed. Economica 1991
- Henri Labrousse : Récits de la mer Rouge et de l'océan Indien, Etudes d'histoire maritime 10, ed. Economica 1992
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